Souriez (?), vous êtes coté/e
RÉAGISSEZ AUX AVIS INAPPROPRIÉS
Chez nous, les sites de cotation pure et dure de professionnels de soins n’ont pas envahi le web. Mais les dispensateurs se livrent peut-être sans le savoir ni le vouloir une sorte de guerre des étoiles - celles qu’on leur attribue sur l’omniprésent Google, par exemple. Que faire si un patient a laissé un commentaire inapproprié à votre propos ? e-santewallonie a recueilli les conseils d’une juriste spécialisée.
Coter les médecins (et autres professionnels ou institutions de soins) semble un réflexe ancré dans le monde anglo-saxon, comme en témoigne le succès du ténor US du secteur, RateMDs.com, qui se targue de 2 millions de « reviews » de médecins. Par ici, les sites de cotation n’ont pas fait de percée décisive (*), faute sans doute de brasser un volume d’infos suffisant pour s’installer durablement. Une tendance analogue a été observée en France, où des initiatives comme Note2Bib.com ou NoteTonDoc.com, outre le fait de s’attirer illico les foudres ordinales (**), n’ont pas décollé. On verra ce qu’il adviendra de MediEval4i.com, apparu au printemps 2019. Ces outils ont le plus souvent fermé boutique, parfois enlisés dans des procès, à en croire la presse française. Ou conservent une existence fantôme en ligne, porteurs de commentaires datés. Ou se réduisent à des annuaires. Le sujet ne fait que sporadiquement des vagues dans les professions de soins. Et pourtant…
Le libre choix influencé
Et pourtant… Outre les réseaux sociaux, des services non spécifiques comme Google ont investi à leur manière le terrain de l’évaluation publique en ligne. Ce dernier donne la possibilité d’attribuer des étoiles et de laisser un avis sur des dispensateurs de soins. Des fonctionnalités qui existent plus ou moins à l’identique dans des répertoires comme les Pages d’or en ligne ou infobel.com, ou sur Yelp, qui brasse des avis sur les… commerces locaux en incluant parfois l’un ou l’autre clinicien.
Sur nombre de ces pages web, les commentaires sont loin d’affluer par centaines. Mais il suffit d’un avis unique qui soit véhément pour ne décrocher qu’une étoile sur cinq. Ce qui se voit au premier coup d’œil.
« De manière générale, les internautes sont influencés par les commentaires en ligne. Qu’on le veuille ou non, cela impacte l’exercice du droit de libre choix de son médecin par les autres patients », commente Emeraude Camberlin, juriste spécialisée en droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Il est vraisemblable, dit-elle, que bon nombre de prestataires de soins wallons n’imaginent même pas qu’en pianotant les mots « généraliste », « dentiste », « kinésithérapeute », « infirmier à » … + un nom de localité, on fait surgir non seulement leurs coordonnées et un plan routier mais aussi une appréciation de leurs prestations. On a beau prétendre n’en avoir cure, ou ne pas avoir le temps de lire… « tout ça » …, certains commentaires peuvent être blessants, injustes. Et visibles des autres internautes, puisque c’est le but du jeu.
Des intérêts légitimes en balance
« Précisons tout de suite que poster un commentaire négatif n’est pas illégal en soi. Cela relève du droit à la liberté d’expression. Mais ce droit n’est pas absolu. Il doit être mis en balance avec d’autres droits, fondamentaux eux aussi, comme le droit à la vie privée du prestataire, son droit à l’honneur, à la réputation », explique Emeraude Camberlin. « Le professionnel outragé a également le droit de réagir », poursuit-elle, « s’il estime qu’un commentaire inapproprié, disproportionné, mensonger… à son égard est publié. Il y a des outils pour ce faire. En outre, il est toujours possible d’engager une action en responsabilité devant les cours et tribunaux. En effet, la diffamation et la calomnie sont des infractions pénales. »
Imputation d’un fait et volonté de nuire
« Pour apprécier la responsabilité, le juge va distinguer, dans les commentaires peu élogieux, ceux qui s’apparentent à des jugements de valeur de ceux qui évoquent un fait, qui imputent une chose précise à une personne identifiée, et qui peuvent être illicites. Un jugement de valeur, c’est par exemple l’expression d’un ressenti global sur un professionnel, comme ‘il n’est pas sympathique, ‘il ne m’a pas pris au sérieux’ ou ‘je trouve qu’il ne se soucie pas réellement de ses patients’. Cela relève du droit d’expression. Imputer un fait, c’est affirmer quelque chose de précis, par exemple ‘après son intervention, ma cicatrice s’est infectée’. On tombera dans de la calomnie ou de la diffamation si l’affirmation s’avère incorrecte ou impossible à prouver, et que son auteur a la volonté de nuire, méchamment et de façon publique, à la réputation, à l’honneur d’une personne. »
Demander sans hésiter un retrait
Que doit faire le professionnel qui a hérité d’un avis déplacé ? « A mon sens, la première chose à faire est de solliciter l’auteur, s’il est connu, et/ou le gestionnaire du site, pour demander le retrait du commentaire. Des outils permettent de signaler et/ou de supprimer les avis jugés inappropriés. Il est, par ailleurs, opportun de s’adresser à Google pour demander le ‘déréférencement’, la suppression des données de l’index du moteur de recherche, conformément au droit à l’oubli consacré par le RGPD. »
La juriste préconise d’ensuite tenter de renouer le dialogue, de restaurer la confiance avec le patient (du moins si le commentaire n’était pas anonyme) « en vue d’en comprendre les motivations sous-jacentes ». Une démarche constructive que le prestataire entamera en proposant à son patient de discuter en privé, de sorte à ne pas trahir le secret professionnel.
« Enfin, si le dialogue n’aboutit pas et que les commentaires laissés présentent un caractère diffamatoire, calomnieux ou injurieux, le prestataire peut engager une action au pénal - s’il y a diffamation ou calomnie - ou engager une action en responsabilité civile pour obtenir des dommages et intérêts. »
(*) sans prétention d’exhaustivité, on peut parler pour les médecins de Vlazoem, qui n’existe plus, de Wisdoc.com, de la base de données www.medecinbelgique.com qui répertorie entre autres 23.000 généralistes dont certains héritent de « recommandations »… Doctoranytime.be inventorie lui aussi, jouant la carte de la prise de rendez-vous directe H24 ; il relaie des « avis vérifiés » (traduits en cotes sur 10, sur la ponctualité, la propreté du cabinet, le fait de bien informer sur la pathologie et d’avertir quant aux effets secondaires).
(**) en Belgique aussi, l’Ordre des médecins a déjà émis plusieurs avis sur la problématique, e.a. en décembre 2019, en renvoyant à des avis de novembre 2016 et février 2015.
Selon des règles de contenu propres
Pour se manifester auprès des responsables d’un site où s’affichent des commentaires dont on se serait passé, il existe différentes procédures à suivre, indiquées plus ou moins ostensiblement. Revenons-en au très présent Google, qui affirme prendre au sérieux l'utilisation abusive de ses services. Pour lui signaler un avis qu’on juge problématique, on active au niveau de l’avis en question l’icône en forme de petit drapeau (« derrière » le menu à 3 points) et on complète le formulaire qui apparait. Ses équipes vont alors examiner le cas, ce qui peut prendre plusieurs jours. Attention que le côté « inapproprié » va être évalué en fonction des règles de contenus de Google. L’avis peut vous contrarier, mais ne pas être en infraction avec la politique-maison.
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