Messageries instantanées
TROP BELLES POUR ÊTRE DÉSINTÉRESSÉES ?
Après le Sylos (lire l'article), passons à Siilo. Le premier semble hautement recommandable pour huiler les rouages d’une prise en charge pluriprofessionnelle. Mais le second, est-il un outil que les prestataires peuvent utiliser les yeux fermés ? Les réserves d’une spécialiste, qui pointe l’adage : ‘si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit’.
Siilo, vous connaissez ? Il s’agit d’une application de communication destinée aux professionnels de santé – « il faut être détenteur d’un numéro Inami pour pouvoir l’employer », confirme Emeraude Camberlin, juriste spécialisée en droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication. « Ce n’est qu’un exemple parmi tous les outils de visioconférence et/ou de messagerie instantanée qui ont connu une véritable explosion durant la crise covid (*). Ils répondent au besoin d’une information qui circule rapidement entre la 1ère ligne et les hôpitaux. » Et pour notre interlocutrice, il est naturel que, comme tout un chacun, les prestataires de soins soient aimantés par des outils « friendly », c’est-à-dire conviviaux, intuitifs et rapides.
Les usagers susceptibles d’être profilés
Pour en revenir à Siilo, l’application est le produit d’une société établie aux Pays-Bas. « Sur son site internet, cette dernière met en avant le fait qu’elle respecte les principes du RGPD. Elle a par exemple procédé à une analyse d’impact pour la protection des données. » Mais en marge de cette dimension RGPD, Emeraude Camberlin attire l’attention sur le business model qui sous-tend l’outil, comparable en de nombreux points à celui de WhatsApp, dit-elle. L’objectif poursuivi par Siilo est selon elle d’inscrire les médecins dans un large « réseau » dans lequel les prestataires sont identifiables via leur numéro Inami. « On ne peut pas exclure un risque de revente de cet ‘annuaire’ à des délégués commerciaux, par exemple. »
« Beaucoup de médecins utilisent Siilo dans sa version gratuite. Quand on dit que ‘c’est vous le produit’, c’est tout à fait vrai. Si un produit est gratuit, c’est que l’on paie le service avec des données personnelles. Mais lesquelles ? Celles des patients, celles des prestataires ? » Si la confidentialité des données des patients n’est pas remise en cause (chiffrement de bout en bout des messages), il n’y a aucune garantie de confidentialité autour des données relatives aux prestataires de soins qui recourent à l’application. « La société est en mesure de dresser un profil précis des médecins. Elle peut notamment voir qui est connecté, à quel moment, quels sont les interlocuteurs professionnels actifs, combien de messages sont envoyés ou reçus, la durée des appels vidéo, etc. Elle peut même avoir accès au carnet d’adresses des utilisateurs et aux noms des différents groupes créés, de type ‘patients onco-hémato’. Les prestataires doivent donc avoir conscience de ces risques et faire un usage responsable de l’application Siilo. »
Cinq points à garder à l’esprit
Cette recommandation ne se focalise pas sur Siilo, elle vaut pour toute application analogue. « Je conseille tout d’abord de rester attentif au business model de la société. On paie toujours ce qui est ‘offert’. Un deuxième point d’attention est de vérifier que les données de la patientèle sont protégées comme il se doit. Tertio, mieux vaut s’assurer que la firme mettant l’outil à disposition est européenne et que les données restent bien en Europe, pour bénéficier du socle protecteur qu’offre le RGPD. Avec Siilo, les données sont stockées sur les serveurs d’Amazon à Francfort. On parle quand même d’un Gafam…. Quatrième élément à vérifier : la transparence quant à l’usage qui sera fait des données. Enfin, il me semble qu’à employer ces outils, il y a un risque d’éclatement des données médicales. Celles-ci pourraient ne pas être intégrées dans le dossier informatisé du patient – à tout le moins avec la version gratuite. »
Penser large et prochaine fois
« Avec l’actuelle prolifération des outils de chat, ne faudrait-il pas réfléchir à une stratégie de communication digitale proposant une messagerie instantanée pour la 1ère ligne et pour les hôpitaux ? », s’interroge Emeraude Camberlin. « Il serait intéressant de solliciter les autorités en vue d’une prise de position sur le sujet. Un peu à l’instar de ce qui s’est passé durant la crise du covid, lorsqu’une task force a passé en revue les outils de télémédecine pour désigner ceux qui étaient recommandés. Nous pourrions imaginer que les autorités se penchent sur le développement d’un Siilo à la sauce belge, ce qui assurerait la pleine maitrise de l’outil et des données personnelles échangées. »
(*) outre Siilo, spécifiquement orienté vers les professionnels de santé, on peut citer Wire, WhatsApp, Facebook et son Messenger, Signal, Olvid, Telegram, Google Meet, Teams, etc.
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