Intelligence Artificielle
IA : « L’humain doit rester le personnage central de l’histoire »
La Healthcare Week Luxembourg avait lieu début octobre à Luxembourg ville. L’occasion de se pencher sur les défis que rencontrent la Grande-Région, composée par la Belgique, la France, l’Allemagne et le Luxembourg. Le Pr Giovanni Briganti, psychiatre et, surtout, spécialiste de l’IA en médecine, a exposé sa vision de la technologie au service des cliniciens.
La vision de Giovanni Briganti repose sur deux piliers : l’état de l’art de l’IA et son adoption à travers le monde. « L’IA impacte déjà la santé dans différents domaines, comme le monitoring de patients, l’accélération du diagnostic, la réduction du temps d’attente pour les patients, la prédiction d’événement par l’IA, ou encore l’aide à la décision pour les médecins. L’IA permet aussi, aujourd’hui déjà, de réduire la charge administrative des médecins, ce qui leur permet de se focaliser sur l’aspect médical et humain de leur métier. »
En Belgique francophone, Giovanni Briganti est un pionnier. Avec le concours du Spécialiste et de AI for Belgium, le Data Scientist a mené une étude nationale sur l’adoption de l’IA. « Les cliniciens belges sont très positifs par rapport à l’IA. Ils veulent améliorer la vitesse et la fiabilité de l’aide à la décision pour libérer du temps pour des tâches à haute valeur ajoutée, pour améliorer la qualité des soins. Les applications qu’ils souhaitent sont des applications de soutien à la pratique, et d’interprétation d’images et de tests. Le médecin veut devenir plus autonome grâce à l’IA, moins dépendre de ses collègues, surtout dans les engorgements que l’on connaît par exemple aux urgences. Il veut aussi pouvoir faire davantage de suivi à distance. »
Des études à l’attention des pharmaciens et des professionnels de l’art infirmier sont les rails.
Les défis de l’IA
L’un des défis majeurs de l’IA, dans le domaine des soins, c’est la reproductibilité. « Ce qui est applicable pour une institution, n’est pas forcément valable pour une autre institution », explique Giovanni Briganti. Une remarque qui s’applique également aux prestataires de soins hors milieu hospitalier. « Il y a une urgence, au niveau des États qui veulent adopter l’IA, de valider les algorithmes qui touchent directement les patients. Divers problématiques se posent, notamment au niveau épistémologique, au niveau de l’accessibilité, de l’éthique, de la fiabilité, de la relevance clinique et de la valeur sociétale. »
« La perfection clinique, ce n’est pas assez. Même si le modèle est parfait, la littérature démontre que l’implémentation est cruciale. Il faut que la technologie soit adoptée par ses usagers », continue le professeur de l’UMons.
Il souligne ensuite la problématique de l’automatisation, « un écueil dans lequel il ne faut pas tomber ». D’abord car les résultats sont difficilement reproductibles, comme l’a souligné Giovanni Briganti, mais aussi parce que l’IA Act, qui sera promulgué en février prochain, stipule qu’avoir une présence humaine dans la boucle n’est pas seulement nécessaire, c’est une obligation. « L’humain doit être derrière la machine. En médecine, on ne peut remplacer l’humain. C’est aussi simple que ça. Certaines tâches peuvent être automatisées, mais pas toutes. »
Références mythiques
Pour aller au-delà du mythe de l’IA en santé, Giovanni Briganti déploie des analogies. La première, le problème de Babylone. « Il faut résoudre le problème de langage entre les industries qui vendent un produit AI d’un côté, et les utilisateurs de ce produit. C’est la clé de l’innovation. Cela ne peut être fait qu’avec une grande impulsion du pouvoir en place et des différents stakeholders. C’est une nécessité absolue pour soigner ce que j’appelle « la pilotite », le fait de simplement piloter et de ne jamais voir plus loin. »
Le financement est une partie de la solution, mais adopter une technologie peut parfois être à double tranchant. « L’adoption d’une technologie peut conduire à voir moins de patients, à avoir moins de stats, à un déficit financier. Pour combler ce trou, il faut avoir un plan de rechange et créer une nouvelle économie basée sur la valeur des données de santé. De quoi compenser les pertes engendrés par l’absence de soin, qui bénéficie aux patients, à la société. » C’est un problème que le psychiatre nomme le problème du lit de Procuste, qui désigne les tentatives de contraindre les choses à un seul modèle (ici, les standard du système de santé), une seule façon de penser ou d'agir, en référence aux pratiques de ce personnage de la mythologie grecque. « On doit aujourd’hui trouver de nouvelles pratiques de soin. »
Ensuite, l’IA peut libérer du temps pour les professionnels de la santé, mais encore faut-il qu’ils sachent quoi faire de ce temps. « Il faut y réfléchir en amont, sinon, on empire finalement la situation », estime Giovanni Briganti, qui prend l’exemple de l’invention du micro-onde. « C’est une technologie qui est sortie dans les années 50 et qui était à la base prévue pour libérer du temps pour les femmes en cuisine. Au final, cela a ajouté 8 heures de travail par semaine pour les femmes. »
Enfin, le psychiatre aborde le problème de Prométhée. « L’humain doit toujours rester au centre de l’histoire. L’IA n’est pas là pour remplacer les médecins ou les infirmières. Ce n’est pas d’un monde mécanique dont la société veut. »
La formation, cruciale
Selon le Data Scientist, la formation est une urgence. « C’est un investissement, certes, mais il peut radicalement changer notre manière de voir l’IA. » Giovanni Briganti sait de quoi il parle, puisqu’il donne cours à l’UMons, la première université au monde à proposer des cours d’intelligence artificielle obligatoires dans le cursus médical. « Le feedback est très positif. Cela forme des professionnels de santé à l’aise avec l’IA, capables de programmer et d’interpréter des solutions basées sur l’IA. Capables d’innover aussi. »
|