Communiquer, oui, mais comment ?
Le besoin de communiquer a été exprimé par l’ensemble des professions. Sur le terrain, ce besoin n’est pas rencontré car il existe encore de nombreux écueils techniques qui empêchent l’échange d’informations.
Isabelle Polis a différentes casquettes. Elle est promotrice du Réseau multidisciplinaire local (RML) du Cegeno, le cercle de médecins généralistes de Namur-Ouest, mais aussi du Service intégré de soins à domicile (SISD) de la même région. À côté, elle est membre du comité de pilotage du Réseau Santé Wallon (RSW) et fait partie de la PPLW depuis ses débuts. Elle est intervenue durant la journée d’échanges de la PPLW pour aborder la problématique technique de la communication entre la 1ère et la 2e ligne.
L’échec actuel du Sumehr
Son cheval de bataille, c’est le Sumehr, le dossier informatique résumé du patient. Elle a formé de nombreux médecins entre 2014 et 2019. « Ils ont montré un engouement…relatif », explique-t-elle. « Le travail a été vite taxé de chronophage et, rapidement, s’est posé la question de l’utilité de ce travail. »
En dix ans, les logiciels métiers ont évolué. Aujourd’hui, les médecins généralistes peuvent rapidement partager de l’information pertinente via le Réseau Santé Wallon. « Un Sumehr peut sauver des vies. C’est vrai, mais encore faut-il qu’il soit accessible », explique Isabelle Polis. Cela concerne surtout les points sensibles qui ont besoin de ces informations, à savoir les postes médicaux de garde (PMG) et les services d’urgence.
« Le problème, c’est que la transition entre le logiciel qui émet le document et le logiciel qui reçoit le document ne se passe pas bien. À l’hôpital, trouver un Sumehr est une gageure. J’ai fait ce travail avec des urgentistes. Il y a quelques heureux qui trouvent une information pertinente, mais il y a beaucoup d’urgentistes qui ne trouvent jamais de Sumehr, ou des Sumehrs avec trop peu d’informations. »
Et là, la situation a même régressé ces dix dernières années. « J’ai mené un test en janvier 2024, avec un Sumehr bien complété – le mien pour l’exercice –, une équipe des urgences de très bonne volonté et un logiciel hospitalier dernière génération. Le résultat, malheureusement, après deux heures d’analyse, est qu’il faut passer par 8 étapes pour accéder au Sumehr d’un patient. »
La solution dépend donc des logiciels. Si dans les hôpitaux la situation est peu réjouissante, dans les PMG, une fois que le lien thérapeutique est créé, il est très facile d’accéder au Sumehr. « On a un accès au Sumehr en deux clics. »
Un manque d’intégration
Robin Crunenberg, pharmacien, vice-président de la PPLW et docteur en Santé Publique, partage le même constat qu’Isabelle Polis. « C’est un constat de difficultés logistiques, de difficultés d'implantation et de difficultés de partage. »
Les informations que partage le pharmacien, par exemple, sont intéressantes. Elles permettent d’avoir un historique médicamenteux factuel de ce que le patient consomme. Et non de ce qui est prescrit et qu’il ne prend pas forcément. Depuis 2014, les pharmaciens échangent entre eux un dossier d’informations partagé qui permet d’éviter la surconsommation et le shopping médical. Depuis deux ans, les pharmaciens détiennent aussi des données de vaccination qui ne sont pas stockées sur les réseaux de santé régionaux, mais bien au niveau national sur le portail e-Health.
Le frein au partage d’informations des pharmaciens vers d’autres prestataires – en l’occurrence surtout les médecins généralistes – c’est la communication entre les différentes plateformes régionales et nationales. « Je peux vous parler des schémas de médication pharmaceutiques, des rapports de revues de médication, d'éléments de testing et de beaucoup d'autres éléments que nous détenons et que nous souhaitons partager avec vous. Mais nous faisons face à des freins techniques. »
Pourquoi de tels freins ? Pour comprendre, il faut connaître l’histoire de l’informatisation de la profession. « Avant ma naissance, les officines étaient déjà informatisées. Le milieu officinal était pionnier dans l’informatisation médicale. Les pharmaciens avaient besoin de l’informatique pour la gestion des produits, des stocks, des péremptions. C'était un outil indispensable. » Peu à peu, la digitalisation touche le milieu hospitalier, la première ligne. « Les solutions en présence doivent cohabiter. Et on peut déplorer un manque d’intégration entre logiciels et plateformes. »
Quelles solutions ?
« La technique est un véritable frein. À quand la technique au service de l’efficacité ? », questionne Isabelle Polis, en quête d’un accès simple au Sumehr. « Si un logiciel – celui des PMG – peut le faire, pourquoi pas les autres ? »
Elle propose quelques pistes pour y arriver. « Un accès simple au Sumehr peut être une exigence pour la labélisation des logiciels métiers », avance-t-elle. « On peut également imaginer une prime à la consultation des Sumehrs dans les hôpitaux, à la qualité du contenu des Sumehrs. On peut imaginer récompenser les prestataires qui prennent le temps de bien remplir un Sumehr. »
« Nous attendons le positionnement des instances, de l’Aviq et de l’Inami, pour que la situation s’améliore. »
Le vice-président de la PPLW pointe lui l’espoir que représente la matrice d’accès aux données partagées sur les réseaux de santé, qui devrait être étendue à l'horizon de mi-2025. « :Les pharmaciens vont avoir accès à plus d'informations de leurs patients. Quelque chose que l’on réclame depuis 15 ans. » De leur côté, les pharmaciens sont en faveur du partage des données dont ils disposent. Des informations qui permettront d’avoir une vision générale – combien y-a-t-il de patients suivant tel traitement en Belgique, par exemple – et des informations plus spécifiques, qui vont pouvoir être partagées entre prestataires de soins, mais aussi avec le patient si cela est possible.
Pour Robin Crunenberg, il faut donc encadrer cet échange d’informations. « Nous avons besoin d’un cadre légal qui permette de structurer ce partage d'informations. Nous avons aussi besoin d’une meilleure intégration entre logiciels métier et plateforme de partage d’informations. » Enfin, le pharmacien propose également de réfléchir à une prime à la performance des soins. « Plutôt que de financer en amont, il faudrait financer en aval, sur base de critères de performance bien définis en collaboration avec les prestataires de soins. »
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